Dans le cadre du projet « Lycéens et Apprentis du cinéma », le vendredi 18 novembre 2016, la classe de terminale ES/L du lycée Jean Cassaigne est allée voir le film « Iranien » de Mehran Tamadon.
Résumé : M. Tamadon a convié quatre mollahs (des érudits spécialistes de la théologie et du droit islamique) et un bassidji (un jeune milicien) dans sa maison dans la banlieue de Téhéran pour débattre sur la société , la laïcité, la liberté et le « vivre-ensemble ». Ce film se définit comme une réflexion sur la possibilité d’un « vivre-ensemble » au sein d’une société respectueuse des croyances et convictions de chacun.
Le débat du film porte donc sur la possibilité de redéfinir une notion importante : celle de l’espace public.
Le mardi 29 novembre 2016, cette même classe a pu rencontrer M. Tamadon. Durant deux heures, avec certains de leurs professeurs, ils ont eu la possibilité de mener un débat sous forme de questions-réponses avec lui. Différentes questionnements sur les répercussions du film, le tournage lui-même, les mollahs ou encore la société iranienne ont ainsi obtenu leurs réponses, le tout avec un débat sur la laïcité comme fil rouge.
Au fur et à mesure du dialogue, les élèves ont pu mieux connaître ce réalisateur et ses convictions. Tout d’abord, quant à la question de ce qu’a pu apporter à M. Tamadon la réalisation de ce film, ils ont découvert une démarche à travers laquelle il essaie de se confronter à des gens très différents de lui et qui défendent un système qui la conduit à l’exil en France. Dans ce projet, et dans les précédents, il a ainsi appris à trouver le moyen de dire des choses. Il expliquait que ce film l’a mené à réfléchir sur la question : « Dans quoi suis-je enfermé? ». En effet, les mollahs lui ont fait cette remarque : « Tu dis que nous sommes enfermés à l’intérieur de l’Islam, mais tu es aussi enfermé, quelque part. Toi aussi, si on regarde d’un autre point de vue, tu es un dictateur sur certaines choses, toi aussi tu as tes propres limites. Moi j’ai mes limites en fonction de l’islam, mais les tiennes, elles sont en fonction de quoi ? Pourquoi tes limites et pas les nôtres? ». Ainsi, la réalisation de ce film lui a permis de concevoir pourquoi ces personnes défendent un « Etat totalitaire et despotique ».
Par la suite, le déroulement du tournage leur a été expliqué plus en détails. Entre questionnements sur la manière de dire les choses aux mollahs, sans risquer qu’ils contactent un homme du clergé ou un milicien pour dire « Il y a un dissident au régime ici en train de dire qu’il ne croit pas en Dieu et qu’il n’est pas d’accord avec le Guide Suprême. Est-ce que vous pourriez venir voir ce qu’il fait, on va l’arrêter. », des interdictions de filmer, deux arrestations pour dissidence au régime … Mais aussi des difficutés techniques plus simples, comme la présence des caméras qui pouvaient perturber les Mollahs, le tournage était loin d’être une affaire gagnée d’avance. Néanmoins, expliqua-t-il, il a réussi à trouver en lui les ressources de dire les choses, tout simplement en prenant sur lui pour écouter et ne pas forcément vouloir avoir le dernier mot. Le plus important n’était pas forcément de marquer des points dans le débat ou dans la discussion. Il comprit aussi que s’il était derrière la caméra, cela pouvait être perturbant, car les caméras devenaient des « fusils braqués sur eux à devoir répondre ». La solution qu’il trouva fut d’être luimême filmé. En étant aux côtés des mollahs face à la caméra, il se confrontait à la même chose qu’eux, s’exposant et montrant ses fragilités. Pour lui, le fait qu’il se montre à la caméra avec beaucoup de fragilités est une démarche à part entière du film. D’une part, il se montrait plus « faible » face aux Mollahs et pouvait ainsi les mettre en confiance, pour que le débat s’ouvre facilement et rapidement. D’autre part, cela permettait aussi au spectateur d’être actif face au film : il voit les défauts de M. Tamadon, y réagit, réfléchit à ce qu’il aurait pu lui-même dire à sa place.
Enfin, en toile de fond, le débat sur la laïcité, les signes religieux, la tolérance, l’acceptation de l’autre et la façon dont la religion d’autrui fait écho en nous, fut constructif, instructif et permi aux élèves de converser avec Mehran Tamadon activement sur ces sujets :
» [Les signes religieux] nous mettent face à nous. Certaines personnes peuvent y être hostiles, mais souvent les jeunes, suivant leur vécu, le sont moins. Je pense que les signes religieux montrent qu’on peut vivre différemment. C’est ce que je tente de montrer aux Mollahs, que la tolérance est possible. Parce que, pour eux, la religion permet de gérer la société. Mais la base de leur foi n’est pas la même que la mienne. Pour moi, déjà, il ne faut pas juger la foi de l’autre mais la comprendre. La religion permet de rencontrer de gens, différents de nous, ce qui nous mène à nous livrer, à nous mettre nus face à l’autre différent et à l’accepter. Selon moi, les gens devraient pouvoir être libres de porter les signes religieux qu’ils veulent. Les filles qui veulent porter le voile ne devraient pas être obligées d’aller dans une école musulmane pour pouvoir porter le voile. Et la laïcité ne devrait pas empêcher cette liberté. Par exemple, pour moi, les élèves doivent pouvoir être libre des signes qu’ils affichent. S’ils veulent venir voilés, avec une croix au cou, ou autre, à l’école, ils ont le droit. En revanche, les professeurs sont des émissaires de l’Etat, ils doivent être neutres, pour ne pas influencer les jeunes. C’est ça la laïcité. »
Avant que l’entrevue ne se termine, le réalisateur nous a assuré qu’il continuait à avoir des projets pour le futur, malgré les aléas du tournage d’Iranien. « De très nombreux », précise-t-il, comme une promesse de continuer à lutter contre l’intolérance religieuse et la censure de la pensée.
Nina Huber et Maëva Huber, élèves de Terminale ES et L