Novembre 2010, terminale S, cours de Philosophie.
Les élèves de terminale S se sont rendus à la projection du film ‘Le retour’, du cinéaste russe Andrei Zviaguintsev
A l’issue de la projection , les élèves regroupés en quatre comités de rédaction, ont élaboré un travail critique portant sur différents aspects du film ; rapport à la nature, dimension biblique et symbolique du film, relation entre les personnages ainsi qu’une introduction et une conclusion générale .
Comité rédactionnel :
Léna FALLERY
Mathieu COUSIN
Guillaume LAMOTHE
Nicolas BARDOT
Benoît VOUDON
-I-PRESENTATION
« Le Retour » est le premier film de Andrei Zviaguintsev réalisé en 2002 et récompensé du Lion d’Or en 2003.
Après 12 ans d’absence, le père d’Ivan et d’Andrei rentre chez lui sans explication. Il leur propose de partir pour une partie de pêche qui s’éternisera en un voyage d’une semaine à travers les eaux sombres et les îles désertes.
« Le Retour » ne se fonde pas sur un seul acteur principal, mais sur le jeu d’un trio, particulièrement sur celui des enfants dont leur vision du père s’oppose malgré leur complicité.
Ce film repose sur une alternance de paysages à l’allure glaciale. L’eau est un élément omniprésent dans leurs péripéties. L’affiche du film met en avant cette domination de la nature sur l’homme par la présence mystérieuse des deux enfants sur une barque.
Au-delà d’une simple histoire, ce film propose différentes interprétations notamment avec l’aspect biblique et symbolique de certaines scènes et de certains cadrages.
Ainsi ce film permet à chacun d’interpréter librement les nombreuses interrogations, tant sur le plan de la nature, des relations entre les personnages, que sur les références bibliques.
-II-RELATIONS ENTRE LES PERSONNAGES
Une approche différente du film, met en évidence les relations entre les personnages, bouleversées par le retour d’un père sans nom.
Tout d’abord les relations parentales sont inertes. La mère est invisible aux yeux du père, contrairement aux autres femmes, ce qui laisse sous-entendre qu’il voit son épouse comme une mère. Dans le film, la mère n’existe qu’à travers les paroles des deux enfants. En effet, la mère est la figure maternelle par excellence, et surprotège sa progéniture. Elle est un juge impartial à qui ils se réfèrent, gardienne d’un secret, garante de la vérité.
Ses fils ne partagent pas le même point de vue quant au retour de cet homme.
Il y a une grande complicité malgré de nombreuses querelles fraternelles, trahissant l’amour qui lie ces deux êtres unis par le sang.
Ils se soutiennent, bien que l’un sombre dans l’admiration, et l’autre dans une colère haineuse.
Ivan n’aime son père que dans la douleur et l’absence, et après le drame, il se sent très coupable se sa mort. Toutefois celle-ci lui permet de reconnaître son père en tant que tel.
La photo trouvée dans la voiture, déclenche chez lui, peut-être, un sentiment de regret et de remord. Andreï, quant à lui, reçoit les instructions du père qui désire en faire un homme, à tel point qu’il se substitue à lui après sa mort.
C’est seulement après celle-ci, que les enfants prennent conscience de son retour.
En effet, ils ne connaissent leur père que dans l’absence, tandis que ce dernier méconnaissait ses fils. La photo dans le livre de gravures religieuses, témoigne de l’imagination des enfants, pour lesquels le père était plus un mythe qu’une réalité, ce qui les amènera à une amère désillusion.
-III-RELATION À LA NATURE
Dès le premier plan, le spectateur est plongé dans une atmosphère froide et mystérieuse, illustrée par l’immensité de l’eau et le jeu des couleurs.
Le titre surgit progressivement des profondeurs du lac, soulignant cet aspect inquiétant. Le spectateur s’interroge sur le rôle de l’eau, omniprésente tout au long du film.Il est également dérouté par l’absence de repères spatio-temporels et le mouvement perpétuel des personnages : les noms des villes délabrées ne sont pas indiqués, la saison reste inconnue.La nature nous est présentée de manière paradoxale : d’une part, terre nourricière, magnifique et apaisante, d’autre part, menaçante, imprévisible et indomptable.
Le cadet, Yvan, voit en cette nature un terrain de jeu qui laisse libre cours à son âme d’enfant et à sa principale lubie : « pêcher des gros poissons ».Quand à son frère, Andreï, il reçoit l’initiation de son père et la mettra en pratique lors de l’ultime séquence du film.
Enfin, le père entretient une relation étroite avec cette nature qu’il a appris à maîtriser ; cependant, celle-ci parviendra à reprendre ses droits sur l’Homme…
Ainsi, ce long-métrage, en plus de sa visée didactique, a un rôle esthétique essentiel et nous montre les paysages russes sous un angle artistique et nouveau…
-IV-Symbolique du film
Il apparaît rapidement que Le Retour ne fait pas montre d’un script exceptionnel en terme d’originalité. Le film se base en effet sur le retour d’un père après douze ans d’absence. Suite à ce retour, le temps s’écoule au rythme d’actes anodins et ordinaires (le voyage en voiture, la pêche, le repas au restaurant, le montage des tentes…)
Derrière l’apparente banalité de l’histoire transparaît kyrielle de symboles. Toutes ces symboliques sont autant d’incitations à des réflexions métaphysique, et à une méditation profonde sur la nature et en particulier la place de l’Homme au sein de celle-ci. On peut répertorier, des références bibliques, des symboles induisant une réflexion sur le pouvoir, la conduite humaine, et le milieu naturel.
Les références à la Bible ne sont pas forcément évidentes, mais sont toutefois décelables. Elles forment un ensemble cohérant et continu dans le film.
Le cadre temporel est scindé en sept jours, apportant ainsi une certaine cadence au récit, et délimitant les journées selon les expériences vécues par le trio familial, non sans rappeler le mythe fondateur de la Genèse. D’ailleurs, ce découpage est illustré par l’apparition de titres écrits d’une main tremblante sur fond noir, allusion évidente au journal tenu par les deux enfants.
L’apparition du père un dimanche apparaît miraculeuse et s’apparente étrangement à une résurrection : en effet, la première vision du père offerte au spectateur est un plan large d’un homme qui semble mort, dégagé de son suaire, dans la même position et disposition du « Christ mort » peint par l’italien Mantegna. C’est d’ailleurs en cette même journée que se déroule le repas dominical, dont tout, c’est-à-dire la disposition des personnages dans le cadre, les gestes du père (le partage du vin et de la viande), le silence religieux qui règne durant cette scène, rappelle la Cène.
Le jour de la mort du père concorde avec celui de la mort du Christ : le vendredi. Il disparaît lentement, et sombre avec ses secrets au fond d’un lac qui semble engloutir la barque, laissant pour dernière image au spectateur la surface trouble de l’eau cristalline, même image qui ouvre le film : ainsi la boucle est bouclée.
Les paraboles bibliques se retrouvent tout au long du voyage des enfants avec leur père. Ainsi le Retour éponyme du père peut être vu comme celui d’un messie, qui, étymologiquement, guide ses disciples, ici les enfants, dans un voyage visant l’apprentissage de valeurs. D’ailleurs, la caméra filme ce pèlerinage avec de lents travellings latéraux, donnant à la réalisation un aspect quasi-fantomatique, traduisant peut-être l’observation discrète, mais assidue d’un Esprit Sain…
Les réactions des enfants sont diamétralement opposées : Andreï fait preuve d’une fascination et d’une foi aveugle envers l’homme, tandis qu’Ivan est plus récalcitrant aux projets paternels. Même si le père leur a permis d’affronter maintes épreuves (affrontements réguliers avec la nature) qu’ils n’auraient sûrement pas franchi seuls afin d’atteindre une île mystérieuse, une sorte de Terre Promise, chacun s’affirme dans ses opinions, transformant ainsi le petit Ivan en un Juda, rongé par ses doutes, et provoquant finalement la mort du père. Ce dernier, un personnage distant, dur et sévère tout le long du film, s’impose en dernier lieu comme martyr aimant se sacrifiant pour sauver son enfant, qui ne manifeste pourtant pas la moindre trace d’affection pour son sauveur.
Et finalement, pourquoi tout ce voyage ? La solution semble paraître lorsque le père déterre une mystérieuse boîte de la Terre promise, renfermant quelque chose qui pourrait tout expliquer, mais qui finit au fond du lac avec son possesseur : le spectateur peut y voir une allégorie du mystère de la foi. En fait, le plan final du film peut le résumer entièrement : la caméra fait un grand mouvement de la cime des arbres vers la plage, semblant nous emmener vers quelque chose, mais qui finalement s’arrête au cœur de son action, et recule lentement vers sa position initiale…
-V- CONCLUSION
On retiendra que la structure globale de l’histoire repose sur la répétition. Elle se manifeste par une représentation cyclique où le dernier plan se confond avec le premier. On retrouve dans les deux situations l’eau, omniprésente et inquiétante, une tour, lieu d’angoisse, et une photographie. Cette dernière induit un symbole particulier et très fort qui est un des fils conducteur de l’action : la présence du père. Au commencement, elle est un moyen pour les deux enfants de reconnaître leur père, la seule image présente dans la maison de cet homme parti depuis tant d’années qu’il n’est guère plus qu’un étranger. On peut y voir la famille au complet. A la toute fin, juste après la disparition définitive du père, Ivan trouve dans la voiture une autre photo qui montre les enfants avec leur mère. L’analogie entre ces deux représentations dévoile un aspect primordial et incontournable du film. Sur la première photo, le père est présent en tant qu’image et il ne reste qu’un étranger, il est absent du cœur de ses fils, alors qu’il est absent dans la photo découverte dans la voiture mais terriblement présent dans leur esprit. On peut y voir une représentation de l’évolution du statut du père qui au début est bien présent physiquement mais lointain, distant, effacé, froid puis qui devient peu à peu un véritable père pour finalement s’imposer comme tel lors de sa disparition : Ivan finira par hurler au bord du lac le mot qu’il s’est toujours interdit de prononcer devant son père : « Papa ».
Le film « Le Retour » abonde de symboliques plus ou moins évidentes et explicites, dont quelques-unes seulement ont été développées précédemment. Ces réflexions métaphoriques sont amenées à l’écran avec brio par Andreï Zviaguintsev qui, bien qu’il n’ait pas écrit le scénario, a largement
contribué à la retranscription des sentiments et idées véhiculés par l’histoire. Son choix de supprimer des scènes initialement prévues qui devaient faire des révélations sur le passé du père a notamment permis d’élargir les possibilités d’interprétation et de laisser place à la réflexion du spectateur. Comme l’a dit le réalisateur lui-même « il n’y a pas qu’une interprétation ». Ainsi, la place d’honneur revient à l’interprétation personnelle, et c’est bien cette invitation à la réflexion qui fait du film « Le Retour » une œuvre.